dimanche 26 février 2012

      Origine du mot philosophie : merci Pythagore 


Une anecdote antique bien connue nous raconte l'origine du mot "philosophie" ; le héros en est Pythagore. Cicéron nous l'a transmise dans l'introduction au livre V des Tusculanes

Cicéron fait précéder l'anecdote d'une information concernant la nouveauté du mot " philosophie ". Au commencement, dit-il, ceux auxquels on a plus tard donné le nom de "philosophes", étaient nommés "sages". Bien qu'étant une chose très ancienne, la philosophie a reçu son nom propre et adéquat il y a relativement peu de temps. Ainsi, les sept fameux sages grecs étaient appelés par leurs contemporains "sophoi" jusqu'au temps de Pythagore. Héraclide du Pont nous rapporte, continue Cicéron, que le tyran de Phlionte, Léon, étonné de sa sagesse, avait demandé à Pythagore quel était le métier qu'il exerçait. Pythagore répondit qu'il n'exerçait aucun métier mais qu'il était philosophe. Léon, surpris par la nouveauté de cette appellation, lui demanda ce qu'elle signifiait. Pythagore lui répondit par une métaphore. La vie humaine, lui dit-il, ressemble aux jeux panhelléniques auxquels trois genres d'hommes participent : ceux qui cherchent à y gagner le prix et la gloire, ceux qui y viennent pour vendre ou acheter quelque chose, et ceux qui - les moins nombreux et en même temps les plus nobles de tous les participants- n'y cherchent ni la gloire ni la richesse, mais se contentent de regarder ce qui s'y passe.
De la même façon, continua Pythagore, nous aussi, les philosophes, nous sommes venus à cette vie d'une autre vie, non pour y gagner la gloire ou l'argent, comme les autres gens, mais en méprisant à la fois la gloire et l'argent ; nous voulons rechercher, de toute notre diligence, la nature des choses, c'est-à-dire la réalité elle-même. Tels sont justement les gens qu'il appelait "tendant à la sagesse" ,à savoir les philosophes. Leur noblesse consiste justement en ce qu'ils n'ont d'autre intérêt ni d'autre tendance que de rechercher la nature des choses et de la contempler, par quoi ils ressemblent aux spectateurs des jeux panhelléniques.
La modestie exprimée par Pythagore dans le mot " philosophe " nous apprend que la philosophie est quelque chose de dynamique, de potentiel. Elle est une tendance permanente, un processus sans fin ; en tendant à son but, la sagesse, elle ne l'atteint jamais.
Issu du grec, le terme philosophie (philos : amour et sophia : sagesse) veut dire amour de la sagesse.

Le philosophe est l'ami de la sagesse.

vendredi 3 février 2012

Le mythe de Narcisse, origine du narcissisme 

Narcisse était  le fils de la nymphe Liriopé et de Cépnise. Il était un jeune homme d'une beauté éclatante, qui restait insensible aux sentiments d'amour dont il était l'occasion ; la Nymphe Écho, qui éprouvait une muette adoration pour lui, fut rejetée avec mépris et trépassa de douleur.

  Ses sœurs  s'indignèrent et se plaignirent à Némésis de l'égoïsme et de l'indifférence de Narcisse. Alors, la nymphe Écho lui jeta une malédiction : un jour qu'il s'abreuve à une source, il voit son reflet dans l'eau et en tombe amoureux. Il reste alors de longs jours à se contempler et à désespérer de ne jamais pouvoir rattraper sa propre image. Il finit par mourir d'une passion qu'il ne peut assouvir, et est pleuré par ses sœurs les naïades. A l'endroit où l'on retire son corps, on découvre des fleures blanches : ce sont les fleures qui aujourd'hui portent le nom de narcisses.

  L'histoire de Narcisse est passée dans le langage courant ; en effet, on dit d'une personne qui s'aime à outrance qu'elle est narcissique.

mardi 24 janvier 2012

Origine de la philosophie, et évolution historique

  L’histoire de la philosophie commence, en Occident, dans le monde de l'Antiquité grecque, vers le VIIe siècle av. J.‑C.. Avant même que le mot « philosophie » soit en usage, et qu'il désigne par la suite une discipline à part entière, on considère que la démarche intellectuelle des générations de penseurs dits « présocratiques », étudiant principalement la physique, marque une rupture avec les discours mythologiques, religieux et poétiques qui existaient jusqu'alors, et forme à ce titre l'acte de naissance de la philosophie occidentale. Dans la démocratie athénienne, au Ve siècle av. J.‑C., Socrate va révolutionner cette approche et introduire les méthodes qui resteront celles de la philosophie, en centrant ses réflexions sur les questions humaines, et non plus sur la physique, et en répandant l'usage de la dialectique et l'étude des définitions. C'est à Platon, dans ses célèbres dialogues, que l'on doit d'avoir transmis l'héritage de Socrate et popularisé le mot « philosophie », conçue comme une recherche de la vérité, en particulier contre les discours trompeurs des prestigieux sophistes, habiles orateurs et maîtres dans l'art de persuader les foules.

  La philosophie se développe alors suivant plusieurs domaines d'étude, comme une méditation sur la nature, l'âme humaine, l'éthique, la politique, et la connaissance. Aristote, élève de Platon, poursuivra ces recherches et inventera un certain nombre de sciences, comme la logique (science du raisonnement) et la zoologie (étude des espèces animales). Dès son origine grecque, la philosophie a donc partie liée avec différentes sciences, qui deviendront ensuite autonomes au fil de l'histoire. Mais elle propose aussi une réflexion sur la nature de la réalité ou encore de l'être lui-même (ontologie), qui deviendra une branche importante de la philosophie (la métaphysique). Les réflexions éthiques des anciens, poursuivies à l'époque hellénistique par les écoles Épicuriennes et Stoïciennes, qui se prolongeront dans l'Antiquité romaine, mettent majoritairement l'accent sur la maîtrise des désirs et des passions, proposant un idéal de sagesse en vue de mener une vie heureuse.

  À l'issue de l'Antiquité, les thèses de Platon, et surtout celles d'Aristote, domineront la pensée philosophique, qui cherchera souvent à les concilier avec la religion chrétienne, musulmane ou juive : ainsi saint Augustin et les néoplatoniciens, dans l'Antiquité tardive. Au Moyen Âge, c'est principalement dans les monastères et en lien étroit avec la théologie que se déploie le discours philosophique, à travers la traduction et la discussion des écrits des Anciens, dans le monde chrétien et le monde arabe. C'est ainsi la scolastique, synthèse du christianisme et de l'aristotélisme, dont Thomas d'Aquin est à l'origine, qui est la philosophie dominante dans l'Europe médiévale, assurant la vivacité de la dialectique et des travaux sur la logique, comme en témoigne la célèbre querelle des universaux.

  À l'époque moderne, les philosophes européens redécouvrent les Anciens lors du vaste courant humaniste de la Renaissance, et une philosophie politique nouvelle, plus réaliste, fait son apparition (Machiavel, Hobbes). Les penseurs s'inspirent, à partir du XVIIe siècle, des méthodes de la science moderne en train d'apparaître (avec Copernic, Galilée et Newton), pour développer une philosophie davantage centrée sur la subjectivité de l'individu, placé désormais au centre de la construction des connaissances (Descartes, Locke, Kant). Les philosophes sont encore souvent de grands scientifiques (Pascal, Leibniz, Descartes), qui ne conçoivent pas la philosophie séparément de la science, ni des réflexions sur la religion. Différents courants s'opposent concernant la nature des idées et des connaissances humaines, tels que l'innéisme et le rationalisme (Leibniz, Malebranche) contre l'empirisme (Locke, Berkeley, Hume).

  C'est aussi l'époque où la métaphysique, l'Église et la Monarchie vont subir les critiques de la philosophie des Lumières (XVIIIe siècle), Kant ruinant la prétention scientifique de la première par ses études sur les limites de la raison humaine, et d'autres philosophes s'attelant à combattre l'obscurantisme et la tyrannie par le projet encyclopédiste (Diderot, d'Alembert) d'une part, et des traités politiques recommandant le libéralisme, la tolérance (Locke, Voltaire) et le républicanisme (Rousseau) d'autre part. Par ailleurs, à partir du XVIIIe siècle, la philosophie se détache peu à peu des sciences positives, plusieurs de ses branches devenant des disciplines autonomes (ainsi la science politique, la logique mathématique et la biologie).

  À l'époque romantique, l'idéalisme allemand (Hegel, Fichte, Schelling) approfondit la pensée de Kant, en proposant une philosophie systématique réconciliant la philosophie de la nature et la philosophie morale. Toutefois, à une époque de plus en plus marquée par les avancées scientifiques et par l'idée du progrès chère aux Lumières, le positivisme (Comte) va faire son apparition, condamnant la métaphysique au bénéfice des sciences ; Comte invente d'ailleurs une science nouvelle : la sociologie. Les progrès de la méthode expérimentale permettent en outre qu'une branche importante de la philosophie prenne à son tour son autonomie : la psychologie. Avec la révolution industrielle du XIXe siècle, c'est un ensemble de courants d'idées davantage axés sur l'économie et la politique qui font leur apparition, tels l'utilitarisme (Bentham, Mill), le pragmatisme (Peirce, James) et le socialisme (Proudhon, Marx). La fin du XIXe siècle est marquée par des penseurs qui bouleversent radicalement les anciennes doctrines (Nietzsche, Marx, Freud).

  Au XXe siècle, un courant de pensée majeur fait son apparition : la phénoménologie (Husserl). Ce courant de pensée, qui influence le structuralisme (Cercle de Prague, Lévi-Strauss), les entreprises de déconstruction (Heidegger, Derrida), la tradition herméneutique (Ricœur, Foucault) et l'existentialisme (Sartre), forme avec eux ce qu'on appelle aujourd'hui la « philosophie continentale ». On oppose habituellement cette dernière à l'autre grand courant de pensée du XXe siècle, plutôt issu du monde anglo-saxon : la « philosophie analytique » (Russell, Wittgenstein, Quine), fondée sur la tradition logique et l'analyse du langage.






Frise chronologique de l'évolution de la philosophie au cours des siècles.
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dimanche 22 janvier 2012

Le mythe de Pandore, histoire du mythe

  Lors de la création du monde par Zeus, il n’y avait que des hommes sur terre. Pandore est la première femme créée par Zeus pour punir la race humaine et pour faire du tort à Prométhée qui s’était montré l’ami des hommes ; elle fut donc l’instrument de la vengeance de Zeus.
  Héphaïstos la façonna à partir de l’argile, Athéna lui insuffla la vie et l’habilla, Aphrodite lui donna la beauté pour faire aimer aux hommes ce fléau nouveau, et Hermès lui apprit le mensonge et la fourberie. C’est encore Hermès qui l’offrit à Epiméthée, le déraisonnable frère de Prométhée, qui en fit sa femme.
Les dieux remirent à Pandore une boîte fermée qui contenaient tous les malheurs qui devaient un jour affliger l’humanité. Elle contenait un seul bien, l’Espérance, tout au fond.
  Pandore eut tôt fait de causer le malheur des hommes. La curiosité naturelle aux femmes lui fit ouvrir la boîte, et les peines, les maladies, les querelles et tous les malheurs s’envolèrent et se répandirent sur les êtres humains. Pandore referma précipitamment le couvercle, mais il était trop tard pour empêcher les maux de s’échapper sur la terre. Seule l’Espérance resta enfermée dans la boîte et cria pour qu’on la fit sortir, afin d’alléger les peines qui allaient maintenant affliger les mortels.
  Ainsi, les hommes, qui jusque-là avaient mené une existence sans peines et sans soucis, furent obligés de s’épuiser à la tâche afin d’assurer leur existence.

samedi 21 janvier 2012

Le complexe d’œdipe, histoire du mythe

  Laïos et Jocaste sont roi et reine de Thèbes. Ils décident un jour d'aller consulter la Pythie, oracle d'Apollon, qui leur dit que s'ils ont un fils, celui-ci tuera son père et épousera sa mère. Lorsque ce fils tant redouté nait, Laïos et Jocaste demandent à un serviteur d'attacher les pieds de leur fils et de l'abandonner sur le Mont Cithéron. Des bergers passent par là, détachent l'enfant et le conduisent à Polybe, roi de Corinthe, qui l'éleva comme son fils et lui donna comme nom Œdipe qui signifie « celui qui a les pieds enflés ». Plus tard, Œdipe va consulter la Pythie qui lui apprend la malédiction dont il est victime. Il décide alors de fuir sa famille et quitte Corinthe. Sur son chemin, il rencontre un vieillard   qui l'empêche de passer. Il se querelle avec et le tue.
  En arrivant à Thèbes, Œdipe se trouve face au Sphinx qui pose des énigmes aux passants et dévore ceux qui ne savent pas répondre. Il répond correctement à l'énigme du monstre et ainsi débarrasse le pays du Sphinx. Pour le remercier, les habitants le font roi de Thèbes et il épouse la reine Jocaste qui est veuve. Comme l'avait prédit la Pythie, Œdipe a tué son père et épousé sa mère, mais il l'ignore. Un jour, la peste survient et contamine Thèbes. La Pythie annonce alors que la maladie persistera tant que le meurtrier de Laïos ne se sera pas dénoncé. Œdipe lance alors des recherches afin de trouver le coupable. Mais peu à peu, il découvre le secret de sa naissance et que c'est lui qui a tué Laïos, son père. Jocaste finit aussi par apprendre cette terrible nouvelle et, désespérée, se pend. Œdipe, lui, se crève les yeux. Il est chassé de Thèbes. Guidé par sa fille Antigone, il arrive dans un lieu de culte près d'Athènes où il meurt.

Le complexe d’œdipe, signification



1) Comment définir le complexe d'Œdipe ?
Le complexe d’Œdipe se traduit, entre l'âge de deux ans et demi et sept ans, par le rejet inconscient et normal du parent de même sexe, dû à une projection amoureuse sur le parent de sexe opposé. Cette étape se résout naturellement par l’identification progressive au parent de même sexe.
2) Les origines du concept
Le complexe d’Œdipe a été identifié, pour les garçons, par Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, en référence à la pièce de Sophocle, Œdipe-roi. Abandonné à la naissance, Œdipe est amené à tuer son père qu’il ne connaît pas et à épouser sa mère. Pour les petites filles, on utilise aussi le terme de complexe d’Electre, du nom de l’héroïne grecque qui tua sa mère Clytemnestre pour venger son père Agamemnon assassiné par cette dernière.
3) Les manifestations de ce complexe
- Vers trois ans, voire dès deux ans et demi, le petit garçon devient possessif avec sa mère, il demande plus de câlins et de tendresse. Il peut aussi chercher à entrer dans l’intimité sexuelle de ses parents en pénétrant par exemple sans frapper dans leur chambre. Pour la petite fille, cette phase correspond au moment où elle fait du charme à son père, elle se blottit dans ses bras et cherche à attirer son attention, tandis que sa mère devient à la fois une rivale et un modèle. Freud désigne cette étape sous le nom de phase phallique, puisque le garçon, en pleine phase de découverte de son corps, est conscient que le pénis est un élément clé dans l’intimité de ses parents dont il est exclu.
- Ne réussissant pas dans ces manœuvres inconscientes de séduction, et sans pouvoir mettre de mots sur ce qu’il ressent, l’enfant va souvent refouler sa contrariété qui s’exprimera alors par des colères et des cauchemars, entre trois et cinq ans. Ce moment est appelé "complexe de castration" par Freud, car face au désir du garçon, c’est la punition donnée par le père ressentie comme la plus adéquate.
- Pour sortir de cette situation, progressivement, entre trois et sept ans, l’enfant, dans un processus nommé par Freud la résolution, va renoncer à prendre la place du parent de même sexe, en refoulant dans son inconscient ses émotions et ses passions. C’est l’âge, vers cinq ou six ans, où les petites filles veulent tout faire comme maman et où les petits garçons sont heureux d’adopter des comportements similaires à ceux de papa, de partager des activités avec lui.

vendredi 20 janvier 2012

L'homosexualité en philosophie, points de vues


  Comment l'homosexualité est vue par les philosophes à travers les siècles ? Prenons différents points de vues de philosophes de deux époques distinctes. Nous allons commencer par le point de vue de Platon (-428 à -348av.JC), pour ensuite voir celui de Freud (1856 - 1939) en passant par le point de vue de Michel Foucault (1926 - 1984).

  Dans Le Banquet de Platon, il y est expliqué qu'à l'origine du monde, celui-ci était composé de trois sortes d'humains : des hommes doubles, des femmes doubles et des androgynes, et que ceux-ci ont été séparés en deux êtres distincts suite à leur orgueil démesuré qui les a mené à défier les dieux de l'Olympe. Depuis, les êtres séparés ne souhaite que de retrouver leur autre moitié. L'homosexualité est donc vu ici comme tout à fait naturelle, d'un point de vue moral mais également d'un point de vue biologique, étant donné que les hommes doubles séparés veulent se retrouver (idem pour les femmes doubles), ce qui donne ce qu'on appelle aujourd'hui l'homosexualité. Il apparaît même ici le concept d'âme sœur, et on décrit l'amour comme étant le manque de cet état d'unicité. L'homosexualité selon Platon et la mythologie grecque avec le mythe d'Androgyne est donc tout à fait naturelle.

Michel Foucault (1926 - 1984)


  Selon Michel Foucault, l'homosexualité est une création institutionnelle récente puisqu'elle résulte du discours psychiatrique du XIXe siècle. Il offre ainsi au mouvement gays et lesbiens un formidable argument de dépassement des inégalités, trop souvent perçues comme naturelles.
 





  Freud, lui, renonce progressivement à faire de l'homosexualité une disposition biologique ou une résultante culturelle, mais l'assimile plutôt à un choix psychique inconscient. En 1905, dans Trois essais sur la théorie sexuelle, il parle d'« inversion », mais, en 1910, dans Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, il renonce à ce terme pour choisir celui d'« homosexualité ». Dans une lettre datant de 1919 écrite à la mère d'une jeune patiente, Freud explique : "l'homosexualité n'est pas un avantage, mais ce n'est pas non plus quelque chose dont [on] doit avoir honte, ce n'est ni un vice ni une dégradation et on ne peut pas non plus la classer parmi les maladies". Cependant, des contradictions existent dans l'ensemble de l'œuvre freudienne et l'homosexualité adulte y est présentée tantôt comme immature par blocage de la libido au stade anal, tantôt comme repli narcissique ou encore comme identification à la mère. Freud a en effet affirmé que l'homosexualité résulte d'un arrêt du développement sexuel.
 La conscience, pont jeté entre passé et avenir


Henri Bergson (1859 - 1941)
Cet article n'est autre qu'un passage de L'énergie spirituelle de Bergson, dans lequel il décrit ce qu'est pour lui la conscience. On peut y comprendre, assez facilement, que selon l'auteur, toutes nos pensées sont tournées soit vers ce qui est déjà arrivé, soit vers ce qui va se passer. On ne vit pour ainsi dire jamais l'instant présent, d'autant plus que le présent est une notion très complexe (mais pour comprendre cela, il faudrait étudier la difficile notion du temps selon Bergson). Bref, je trouve ce passage très intéressant et facilement compréhensible, avec la fameuse métaphore de la conscience comme étant un pont jeté entre le passé et l'avenir. Le problème ici soulevé est le suivant : Peut-on vivre et penser le présent ?


"Qui dit esprit dit avant tout conscience. Mais, qu'est-ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l'expérience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une définition qui serait moins claire qu'elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent : conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur ; elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d'arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l'inconscience ? Quand Leibniz disait de la matière que c'est " un esprit instantané ", ne la déclarait-il pas, bon gré, mal gré, insensible ? Toute conscience est donc mémoire − conservation et accumulation du passé dans le présent.
      Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit à n'importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L'attention est une attente, et il n'y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L'avenir est là ; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui : cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir.
      Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n'y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu ; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. Ce que nous percevons en fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir."

BERGSON, L'énergie spirituelle, éd. Alcan, p. 5-6